Dématérialisation de l’accompagnement des entrepreneurs : la “juste valeur” ?
Face au besoin de l’entrepreneur d’être moins seul, d’être accompagné, d’être coaché, d’être mentoré, conseillé, présenté, mis en relation, musclé, boosté, etc, les solutions actuelles sont légion et bon nombre sont gratuites.
La norme, aujourd’hui, en France, c’est l’incubateur subventionné, le co-working space aux services additionnels, l’accélérateur bouffeur de parts de capital, ou le parrainage biaisé d’un corporate, et dans tous ces cas de figure, la promesse est la même : une cohorte d’experts disponibles « gratuitement » pour accompagner les entrepreneurs. On observe quelques accélérateurs payants qui eux, suivent un autre modèle, mais ils sont l’exception.
Cela soulève plusieurs problèmes, ou tout au moins, pose plusieurs questions.
D’abord : la gestion de la masse. On propose des événements, des master class, des interventions ou des webinars (soyons ‘remote’ par les temps qui courent) en « one to many » qui permettent à tous ces lieux d’accompagnement de faire d’une pierre deux coups : animer le réseau en tant que groupe, tout en donnant à manger à chacun. Tout le monde est satisfait : bonne qualité des intervenants, bonne animation du lieu… en quelque sorte, l’outcome est un « bon complément d’info » ou « une initiation » ou mieux encore, une bonne « introduction » à un sujet.
En gros, c’est “sympa”. On renforce la culture générale de l’entrepreneur.
Ensuite, et dans le détail, la qualité générale de la cohorte d’experts dépend réellement du modèle déployé. Si le lieu, ou l’institution d’accompagnement rémunère ses intervenants, il y a fort à parier qu’il y a un engagement fort de la part de ceux-ci et que la qualité de leurs interventions s’en trouve améliorée. Ce n’est pas une règle absolue, mais ça relève sinon du bon sens paysan, à minima du “contrat”.
A l’heure de la quête de sens, il ne faut pas oublier que le nerf de la guerre reste la « valeur » et que lorsque l’on évoque la valeur, on finit tôt ou tard par impliquer un « prix ». Il est important dans un monde où l’usage nous laisse penser que tout est « gratuit » ou « subventionné », de se pencher sur cette notion.
Parmi ceux qui ne paient pas leurs intervenants, il y a plusieurs typologies :
A — prenons l’exemple d’un incubateur d’entreprise, où ce sont les collaborateurs de l’entreprise qui encadrent les jeunes entrepreneurs du lieu d’accompagnement. Dans ce cas, il est fort probable -comme nous l’avons de nombreuses fois observé- que le temps, la disponibilité intellectuelle ou l’engagement du collaborateur ne soient ni à la hauteur des attentes quanti des entrepreneurs, ni même, et c’est bien pire, à la hauteur des attentes en compétences : il ne revient pas à dire que les collaborateurs internes sont mauvais, mais bien de relever que le monde réel des jeunes entrepreneurs n’a rien en commun avec celui d’un salarié, que les préoccupations immédiates d’un startuper ne tolèrent pas le temps long de l’entreprise marraine, ou bien encore que les techniques modernes de l’écosystème récent sont du chinois pour les vieilles dames du CAC40. Par exemple…
B — prenons à présent le cas d’un accélérateur externe qui fait intervenir une brigade d’experts « gratuitement » : seule la motivation de l’expert peut garantir une qualité aux éléments dispensés aux entrepreneurs et là encore, parce qu’il s’agit d’une intervention gratuite, elle sera très probablement « de masse ». L’un trouvera un intérêt d’associer son nom au lieu prestigieux, l’autre trouvera l’occasion de faire briller une de ses compétences mal mise en avant sur son CV, l’autre encore pourra fuir une réalité en se rapprochant de l’écosystème dynamique des startups… selon l’importance de cet intérêt, on pourra parfois corréler un niveau de prestations : c’est souvent malheureusement le lot des incubateurs ou accélérateurs hébergés par des structures plus prestigieuses qu’eux.
Quoiqu’il en soit, payé ou pas, l’intervenant est souvent seul face à la « foule », le prof d’une cohorte, le tribun s’adressant à la fleet, la parole divine offerte au batch… d’une manière générale, il n’est pas en train d’aider l’entrepreneur qui l’écoute, mais de lui donner des clefs, des ressources, des idées, de lui retracer des expériences, de lui apporter une analyse de façon systématique et générique sans connaître la situation de celui qui l’écoute.
Pour ‘aider’ un entrepreneur, il faut écouter un entrepreneur.
Ecouter un entrepreneur, c’est faire du sur-mesure. Il faut en avoir le temps et/ou les moyens.
Pour faire du sur-mesure, donc, il faut pouvoir payer : la gestion de la masse ne permet pas le sur-mesure. Et si la tech autorise certains raccourcis et offre certaines possibilités de palier quelques carences, elle se paie elle aussi. Le sur-mesure, ou la gestion de masse assistée par la tech sont des solutions coûteuses.
Certains paliatifs existent cependant, comme des tentatives de greffer le taylor-made sur du standardisé : on a créé des « office hours » ou des sessions de « ask me anything », le mécénat de compétences transformé qui rencontrerait le coaching personnel, sorte de prise par la main nécessaire mais mal définie, qui donne bonne conscience à ceux qui en usent mais qui peut toutefois, si le casting est bon, donner des résultats.
Très bonne solution, quoique minutée, qui se heurte là-encore au mode d’évaluation de la « valeur » qu’ont ces moments privilégiés, en face à face, entre un entrepreneur et un « mentor ».
Encore une fois, on en revient à la notion de valeur.
Un contact me faisait remonter récemment qu’il avait sondé les startups de son portefeuille pour qu’elles mettent un prix sur ce dont elles bénéficient aujourd’hui gratuitement : un accompagnement et un suivi hebdomadaire par plusieurs experts de domaines différents, de près de 4 heures par semaine.
Toutes les startups sont actuellement très satisfaites de l’accompagnement offert par la structure en question.
Les réponses faites ont débouché sur une fourchette de prix (qu’une startup serait prête à payer) allant de 50 euros par mois à 1000 euros par mois. Indépendamment de la capacité de celles-ci à payer réellement, il s‘agit bien de fixer une « valeur » à l’accompagnement proposé par la structure, par le prisme de ceux qui en bénéficient.
On voit bien là que lorsque l’on est dans le ressenti, et malgré une satisfaction totale à l’endroit de la prestation fournie, la « valeur » de la transmission de savoir, du conseil, du coaching, de la mise en relation, de l’ouverture d’un réseau, etc. n’est pas une donnée universelle communément admise mais qu’elle est un élément voué à être apprécié à l’aune de l’écosystème franco-français des startups : comme pour beaucoup, ces éléments sont gratuits, la « valeur » réelle qu’ils embarquent est presque « irréelle ».
La gratuité, si répandue, a dévalorisé totalement l’accompagnement de qualité. Sans faire de French Bashing, c’est aussi un biais culturel.
Demandez à un américain combien il est prêt à payer une heure de coaching en growth hacking et vous aurez une pluie de dollars qui tombera sur vous en moins de temps qu’il n’en faut à un français pour pondre 14 lois. Les mondes ne sont pas les mêmes mais je conviens que ce n’est pas le sujet de cet article.
Le sujet ici, est de savoir si un jour ou l’autre, on pourra coller une valeur à ce que l’accompagnement sur mesure des entrepreneurs veut dire. On imagine mal à une autre échelle, KPMG proposer ses consultants “gratuitement” à ses clients… il est donc incongru de considérer que la gratuité présente un intérêt à terme… et il est légitime de se poser la question de son intérêt tout court.
A titre personnel, je donne 25% de mon temps (depuis le confinement, j’ai augmenté un peu !) à ces activités d’accompagnement. Totalement bénévole.
Comme je le disais plus haut, j’y trouve un intérêt : sens de ma vie, sentiment d’utilité, visibilité professionnelle, contact avec l’écosystème, excitation intellectuelle, intérêt pour les projets, etc.
Quand je raccroche après une session avec un entrepreneur que j’ai aidé pendant une heure et qu’il m’envoie un sms ou un email me remerciant, me disant qu’il a des pistes pour notre prochain call, que ce que l’on voit ensemble lui sert énormément, etc., je sais que j’ai rempli ma part du contrat : donner le meilleur de moi-même et être utile à mon interlocuteur. Je sais aussi qu’il en est plutôt satisfait. Et encore une fois, je ne le fais pas pour l’argent : il n’y en a pas.
Mais de nombreuses fois, je me suis demandé : « combien seraient-ils tous prêts à payer pour ce que l’on fait ensemble ? »
Non pas pour satisfaire une envie de monter une nouvelle boite dont ce serait le BM, mais bien pour savoir quelle « valeur » on peut coller à cet impalpable moment qui, pour certains, est un grand pas en avant, ou leur permet d’éviter une erreur fatale, ou pour d’autres, consiste en une mise en relation capitale dans l’avancée de leur projet, etc. …
Je me pose la question et j’ai toujours peur de la réponse. Nous sommes habitués à ne pas donner de valeur à ce qui ne nous coûte rien. C’est un problème qui vient de notre culture mais aussi de notre façon de fonctionner : la startup Nation, BPI, l’écosystème des incubateurs publics, entre autres, et tous les efforts divers et variés reposent pour l’essentiel sur ce socle de la subvention, du tiers qui paie, du demi-mécénat de compétence, de la participation gratuite, dans l’attente de l’émergence d’une licorne parmi les poneys.
Paradoxalement, quand on pose la question “tu paierais toi, pour 30 minutes avec Elon Musk ?” la réponse est souvent oui. Sans hésitation. Je connais beaucoup d’entrepreneurs qui seraient prêts à payer pour rencontrer ceux qui, dans le domaine qui les intéresse, représentent une référence à leurs yeux. Alors pourquoi pour “les autres”, cette notion a-t-elle disparu ?
J’aimerais par moment que la mission de nos leaders en matière d’innovation et d’aide des jeunes entreprises, passe de « comment je crée un écosystème qui s’auto-alimente, s’auto-finance, et maintient un niveau d’encadrement early-stage massif » à « comment je fais pour permettre un accompagnement vertueux, créateur de valeur et fabriquant des champions »….
Vous allez me dire que l’on peut fabriquer des champions en gérant la masse ?
Peut-être. Mais nous attendons toujours le Mbappé Chinois.
Dans un système qui ferait de la sélection un préalable, on aurait sans doute moins à financer la startup du dimanche, le projet de grossesse, ou le délire de potes, qu’on ne le fait aujourd’hui ; on aurait peut-être aussi une allocation de financements différente : vers des encadrements payants, des subventions sur les programmes plus que sur les lieux ; et enfin, l’on pourrait éventuellement éduquer les futures générations sur ce qu’est la « valeur » de cet accompagnement.
De la même façon que nombreux sont ceux qui disent encore « l’université est gratuite », il faut en finir avec cette perception de l’accompagnement en réfléchissant autrement à comment encadrer les jeunes entreprises.
Les modèles changent vite. Le Covid19 passé par là, crée lui aussi des remous comme on a pu le voir chez The Family, la solidarité de façade envers les entrepreneurs que le virus a suscitée retombe comme un flan, les faibles meurent, les forts saisissent les opportunités… l’argent tombe du ciel, grâce à la providence d’un état se substituant à tout ce qui est venu à manquer. C’est une bonne chose, évidemment, dans l’immédiat. Mais rien qui ne nous aide vraiment à mieux calibrer la « valeur ». Tout est sens dessus dessous mais j’ai bon espoir qu’à la fin, au moment de compter, il sera alors nécessaire pour tout le monde de savoir ce qu’il vaut.
Peut-être alors, les solutions d’accompagnement des entrepreneurs seront dématérialisées, sortes de bourses du savoir, où chacun offre sa compétence à celui qui veut y mettre le prix, dans une démarche un peu moins altruiste, mais peut-être plus efficace à défaut d’être plus juste ? Ou alors verrons-nous fleurir les hotlines à destination des entrepreneurs ? le 24/7 du dépannage entrepreneurial ? Là encore, avec des ‘fees’, des appels surtaxés ou que sais-je encore ?
Un Xavier Niel, venu du minitel rose, passé par la majesté des hangars démesurés, et revenant à une StationF online comme pour boucler la boucle… sans doute pas, quand même : les lieux de rencontres demeurent essentiels, évidemment.
Ce sont les accompagnements qui sont à repenser.
L’efficacité vient du sur mesure… le sur mesure coûte de l’argent… quelle solution ?
Je vous laisse avec ces pensées en bandoulière, et vous souhaite un agréable second semestre ! Mais vous êtes aussi les bienvenus si vous donnez votre avis ou lancez des pistes pour trouver des solutions !
