Quand une société hurle « à mort les élites » au lieu de crier « donnez-moi une école qui me permette à moi aussi de m’élever ! » il y a un vrai problème.
La détestation des élites dans ce pays, qui va de pair avec la détestation de tout ce qui peut ressembler de près ou de loin au succès fait le lit d’une société ras les pâquerettes propice à l’émergence des extrêmes.
Quand on estime qu’un gars qui a un salaire est un expert de la fiche de paie, qu’un gars qui ressent la température extérieure est un météorologiste sénior, ou qu’un mec qui n’a pas d’argent est forcément un Piketty en puissance, c’est qu’il est bien tard.
Et la cause de tout ça, selon moi -et avant que vous ne me traitiez de snob élitiste réactionnaire- c’est que l’école n’existe plus, qu’elle est inégalitaire comme jamais auparavant et que tout le monde s’en fout !
Oui : tout le monde s’en fout, à commencer par les parents d’élèves. Je vais faire de grosses généralités, parce que finalement, c’est comme ça que c’est plus simple à expliquer.
Nous vivons depuis une trentaine d’années dans une société qui a fait émerger à sa façon, une forme d’enfant-roi dans la relation famille/école tout au moins !
L’enfant à l’école a forcément raison, le prof a tort.
Le parent est le garant de ce changement de paradigme. Le parent sait mieux que le prof. Le prof est un empêcheur de tourner en rond… pour peu qu’il dise que l’enfant est “moyen” ou “en retard” et là, le prof tourne tout bonnement au “con” !
Le parent qui, depuis 30 ans, est donc le fruit de ses propres parents « boomers » qui mettaient la liberté et la lutte contre une droite des 30 glorieuses avant toute chose (en sacralisant une progéniture et la « protégeant », elle qui serait malmenée par un système dit de « méritocratie » et d’excellence), ce parent donc, prétend continuer ce travail de dénonciation de l’école rigide à l’ancienne.
Cependant, jusqu’à cette période, on observait que « l’ascenseur social » fonctionnait. Quant à l’excellence, elle résidait dans ce que le programme scolaire considérait encore que l’orthographe et les tables de multiplication étaient un pré-requis pour passer du CE1 au CE2…. Et non plus une « option ad vitam aeternam » comme peuvent en attester les CV envoyés ces temps-ci par les bac +5 ! Donc peut-on réellement parler d’excellence ?
Cependant, les filières dites d’excellence, elles, existaient et formaient les « élites ».
L’un des problèmes étant que ces « élites » nous gouvernent… et c’est là que tout devient politique et que l’on perd de vue le point de départ du problème !
Au lieu de focaliser sur le produit du système, nous aurions du, en tant que société, nous occuper des racines du mal ! Ou comme disent les américains : don’t hate the player, hate the game!
Et l’on a pensé que pour faire bénéficier la société d’une éducation égalitaire, juste et meilleure, il fallait faire parvenir 100% d’une classe d’âge au baccalauréat !
Quelle connerie !
Comme c’est évidemment impossible, comme nous avons oublié de nous occuper des quartiers délaissés, de la petite enfance, des différences et des profils atypiques, comme nous avons identifié que l’idéal résidait en une communauté de bacheliers, eh bien nous avons du, pour parvenir à cet Eden de l’éducation, baisser drastiquement le niveau général…
Un nivellement par le bas dont il sera très long et très difficile de se relever !
Quand le Danemark et Singapour choisissent des systèmes éducatifs tournés vers le succès et l’élévation de la société dans son ensemble, la France fabrique la médiocrité à grande échelle en accompagnant le son révolutionnaire du « à mort les sachants », à coups de réformes bruyantes et stériles qui expriment puissamment l’immobilisme politique à l’égard de l’école depuis 30 ans.
Aujourd’hui, il est clair que l’école n’a pas les moyens en France de faire émerger les centaines de milliers de talents qui l’arpentent chaque jour : elle n’a même plus les moyens de les détecter car il faut que l’école remplisse son rôle officieux d’éducateur, de policier, de soupape de sécurité, et même à l’occasion comme l’a démontré la pandémie, d’avant-poste de santé !
Avec 40% des membres de l’éducation nationale qui remplissent les rectorats dont la mission est de plus en plus floue, avec des salaires misérables pour les professeurs, avec des concours dont la barre d’admission ne fait que baisser pour répondre aux besoins en fonctionnaires, l’école, socle de toute société, est malade.
On ne peut pas en vouloir aux professeurs.
Nous devons en revanche, et très vite, faire notre introspection, réfléchir à ce que nous souhaitons.
C’est sur l’ignorance des masses que tous les Donald Trump de ce monde bâtissent leur commerce du pire.
C’est sur la petite musique de « l’école ça sert à rien ! », relayée par ici par des entrepreneurs à succès qui gagneraient à fermer leur gueule, que se construit cette société d’ignares incapables de compter ou d’écrire, parce que « ça ne sert à rien ».
C’est parce que l’on entend dire « l’histoire géo ? Ca va me servir à quoi ? » que l’on oublie le passé et que l’on commet les mêmes erreurs qu’il y a 100 ans… avec plus de violence, plus de froideur et la certitude d’être juste, jusque dans l’atrocité !
C’est aussi parce que les politiques de l’éducation ont été une catastrophe que l’on a aujourd’hui 200 députés extrémistes à l’assemblée : étant le fruit direct des générations incultes ou le résultat des frustrations liées à ces réformes….
En allant un peu plus loin, c’est aussi parce que l’école ne s’empare pas des sujets d’actualité qu’elle est passée à côté du réchauffement climatique il y a 25 ans…. Des soucis associés à la laïcité depuis les années 90, de ceux liés à la parité dans le supérieur depuis toujours, et j’en passe !
L’école est fondamentale. Elle doit faire sa mue. Elle doit à tout prix nous préserver du chaos, nous éviter les heures sombres d’un monde de l’immédiat servi par des réseaux sociaux peu soucieux des conséquences des fake news, en permettant à tous de surfer de manière éclairée, en dotant chacun de la capacité de comprendre, d’analyser, de choisir.
L’école doit aussi nous « apprendre à apprendre ». C’est un point clef : nous ne savons plus apprendre. L’avons-nous seulement su un jour ?
L’école doit comprendre l’intérêt de l’intelligence collective pour mieux faire émerger les talents individuels.
L’école doit valoriser les différences sans niaiserie, en assumant que nous ne serons pas tous des prix Nobel mais qu’il n’y a pas qu’une seule voie royale.
L’école, enfin, doit être plus forte là où elle est le seul rempart contre l’ignorance crasse et l’obscurantisme, risquant à chaque instant d’être supplantée par d’opportuns sectaires : dans les déserts ruraux, dans les quartiers difficiles, auprès des communautés constituées artificiellement depuis les premiers coups de pelleteuse des années soixante !
L’école c’est la République. Mais l’école c’est avant tout ce qui doit garantir la survie de la République et de la démocratie en équipant chacun de la faculté de raisonner, de construire, d’expliquer et d’apprendre.
La nouvelle excellence, quant à elle, réside dans l’inclusion de tous les profils, de toutes les aspérités, dans la capacité d’emmener une classe d’âge à l’emploi et au bonheur, et non au bac !
Donnons des cours de code, expliquons l’économie, sanctuarisons l’écologie, rappelons les fondements du civisme, préparons aux métiers émergents, mettons des ordinateurs et tablettes entre les mains des élèves, promouvons le sport, travaillons par petits groupes, revisitons la géographie des salles de cours, cassons les silos, brisons les cases, créons l’école de demain, tous ensemble.
